LAURENT GBAGBO OU L’ART DE RÉPONDRE AVEC ÉLÉGANCE AUX COUPS.

Laurent Gbagbo, lors de son entretien sur TV5
Laurent Gbagbo, lors de son entretien sur TV5

« Je reçois beaucoup de coups, mais je sais parfois y répondre » ai-je, un jour, entendu dire le président Laurent Gbagbo. Alors que sa parole était attendue depuis 9 ans, il a suffi à Laurent Gbagbo, de seulement 38 minutes pour faire l’unanimité sur sa dimension de monument politique. Et revenir au premier plan sans rien forcer.

© aird-ci.com – Vendredi 30 octobre 2020 16h00 | Dernière mise à jour 18h00.

« Au commencement était la Parole, et la Parole était auprès de Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement en Dieu. Tout par elle a été fait, et sans elle n’a été fait rien de ce qui existe. » peut-on lire dans la Bible, comme pour dire que tout naît de la Parole.

Le président Laurent Gbagbo s’est servi à la fois avec humour et gravité de cette parole lors de son interview du 29 octobre 2020 sur le média TV5 Monde, pour distiller aux uns et aux autres, tantôt espoir, tantôt leçon de gouvernance.
Cette parole dont l’usage sincère a fait tant défaut au régime du RHDP. Outre la parole, la démarche et l’environnement, le contexte et le timing ont été exploités avec subtilité.
Je voudrais partager, avec mes camarades de l’AIRD et ceux de mes amis, ceux de mes compatriotes et des Africains qui me font l’amitié de me lire, quelques leçons tirées de cet exercice oral dont on ne finit pas de se délecter.

1. Une interview se prépare
Une telle interview n’a certainement pas été improvisée. Votre serviteur n’était nullement impliquée dans sa préparation. Mais nul doute que, Laurent Gbagbo que toutes les chaînes du monde courtisaient, n’a pas choisi TV5 Monde par hasard. En effet, même si cette chaîne est un média du service public français, elle est avant tout le média de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), organisation dans laquelle les pays africains sont largement majoritaires. Contrairement à ce que peuvent dire certains auteurs des réseaux sociaux, ce n’est pas la « FrançAfrique » à qui la main est tendue mais à toute la communauté africaine. La journaliste qui a l’honneur de l’interroger s’appelle bien Denise Epoté, 65 ans, de nationalité camerounaise, formée au journalisme exclusivement au Cameroun et qui, en dépit de ces nombreuses décorations reçues de la France, affiche avec dignité sa nationalité camerounaise. Elle est donc une femme d’expérience qui a interrogé de nombreux chefs d’Etat. Son pays, le Cameroun et son peuple restent un exemple de soutien au combat de Laurent Gbagbo.
Accorder son interview la plus « mythique » à une femme africaine à l’élégance raffinée n’est pas anodin pour un homme d’Etat qui a fait de la promotion du genre une priorité au cours de son mandat, même rendu difficile par une rébellion.

Mais en même temps, avec TV5 Monde, elle pourrait être vue par certains comme ayant été de ceux qui ont quelque peu accompagné la diabolisation de Laurent Gbagbo sur une partie de son mandat, notamment lors du pic de la crise ivoirienne, en 2011. C’est oublier que sur cette même chaîne, deux ans après le transfert de Laurent Gbagbo à la CPI, le journaliste Assane Diop de RFI et contributeur à TV5 Monde analysait à l’antenne de ce dernier média que certains s’étaient trompés sur le compte de M. Alassane Ouattara, l’adulé de la communauté internationale. Peut-on, comme le président Laurent Gbagbo, incarner le pardon et l’esprit républicain et refuser le micro d’une telle chaîne?

2. L’art de savoir donner des coups
Sur une bonne partie de cette interview, le président Laurent Gbagbo a su donner des coups mais avec une élégance telle qu’il sera difficile d’y répliquer sans verser dans le folklore propre au Rhdp. C’est ainsi que, alors que nombre de ses partisans n’ont jamais reconnu M. Alassane comme président de la République mais plutôt comme un chef d’Etat, Laurent estime que c’est Alassane Ouattara qui devrait avoir l’initiative du dialogue car « c’est lui le président…moi je ne suis qu’un prisonnier ». Comme pour l’obliger à sortir de la boue dans laquelle ses partisans semblent l’enfoncer chaque jour davantage par un langage peu républicain. Pour contrebalancer cette reconnaissance, il ne s’empêche pas de faire remarquer que « nul ne peut refaire un homme », exploitant discrètement les questions de la journaliste qui rélève l’inélégance du successeur du 4èmeprésident de la Côte d’Ivoire.

3. Couper la route de la division
Depuis l’intensification du mot d’ordre de l’opposition ivoirienne, les partisans du candidat à un 3ème mandat inconstitutionnel distillaient la division au sein de celle-ci en présentant le président Laurent Gbagbo comme le sage « qui ne parle pas » à côté des « tonneaux vides ». Il était dès lors important pour la lutte, que tout doute soit ôté de l’esprit des partisans du « Woody » de Mama, par une clarification. Faisant d’une pierre deux coups, le Chef a non seulement indiqué « être dans l’opposition » mais également précisé qu’il est/était bel et bien candidat à l’élection présidentielle. Au moment de la collecte des parrainages, que n’a-t-on pas entendu de nos adversaires qui ont vainement tenté de détourner l’attention de nos militants au motif que la candidature de Laurent Gbagbo était une invention de EDS, la plateforme politique dont Laurent Gbagbo est le référent politique.

4. Toujours aller à l’essentiel
Ceux qui s’attendaient à des questions sur la situation interne au Fpi en ont eu pour leur compte car Laurent Gbagbo est au-dessus des clivages partisans et se positionne clairement en rassembleur des Ivoiriens, voire des Africains. Il ne peut pas abandonner cette mission de rédemption politique et morale de l’Afrique pour s’attarder sur des querelles de clocher, c’est-à-dire une dispute au sein d’un groupe partisan, même si le FPI demeure son grand outil de combat. Le faisant, il donne une leçon de grandeur à M. Alassane Ouattara qui met tout un pays à feu et à sang pour « un cas de force majeure » spécifique à son parti politique, qui n’est qu’une association privée dont il veut sauver la cohésion. Reléguant ainsi la nation aux bottes de son parti.

5. La force des mots
Dans ces récommandations, Laurent Gbagbo a choisi d’utiliser des verbes d’action qui appellent également au rassemblement : « discuter, négocier, parler ensemble ». Homme concret, pugnace et surtout homme de paix qui dépasse l’adversité et la rancœur au nom du danger qui guette le peuple.
Car comme le note le ministre et ex-ambassadeur à Paris, le Pr Pierre Kipré, « si Laurent Gbagbo appelle à la discussion, c’est parce que nous avons des divergences mais aussi parce qu’il veut, dans son sillon, pousser toute la classe politique à se décider à tourner le dos à l’attitude de vengeance pour établir les bases d’un travail commun de reconstruction et de consolidation de la communauté nationale. Bref, il s’agit de se dépasser pour trouver un consensus sur l’essentiel :la sauvegarde de la communauté.

6. Le timing
Le timing est un élément clé de la communication en politique. Après 9 ans de silences forcé et volontaire, le président Laurent Gbagbo a choisi un moment décisif pour prendre la parole. Cette parole a été sobre comme pour corroborer que « un homme politique ne parle pas pour se vider mais pour communiquer ».
Le RHDP et son mentor ont expédié Laurent Gbagbo à la CPI, dans l’espoir d’un voyage sans retour. Ils en ont fait un héros. Ironie du sort, il pourrait être leur sauveur, car il lui sera difficile d’abandonner son peuple dans la « catastrophe » programmée. C’est cela le vrai sacrifice et non celui d’un 3ème mandat inconstitutionnel.

Le ministre Eric Kahe
Président de l’AIRD

1 Commentaire

  1. La Côte d’Ivoire amputée de ses valeurs

    Cher ingénieux professeur, l’approche pédagogique utilisée ici aura permis une excellente acquisition du quintessencié de votre analyse.

    Cher ingénieur, la programmation de votre texte duquel se dégage parcimonie le rend digeste même pour les claudicants intellectuels.

    Monsieur le ministre, il n’est pas dans les droits du subalterne que je suis de vous féliciter. Cependant, je ne puis m’empêcher d’exprimer mon loisir, plus de loisir que je n’en espérais, de me laisser emporter par ce cosmétique scriptural de hauteur.

    L’élégance verbale qui caractérise le Président Laurent Gbagbo est certainement tributaire de sa qualité de pédagogue et son objectivité scientifique à partir de laquelle il conduit ses analyses. Cela confère un caractère prophétique à ses paroles. C’est aspect est éminemment indéniable à celui qui laisse des traces.
    Respects à LG !

    Ce texte à lui seul me réconcilie avec l’espérance d’un nouvel ordre politique qui se chargera de mettre les valeurs en relief. Il n’est pas fait à aucun soupçon de faiblesse dans la structuration littéraire de ce texte.

    Honneur aux valeurs !
    Honneur aux valeureux !
    Honneur à Kahé !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.