Le RDR et sa « justice des vainqueurs », pires que lors des faux complots de 1963

La «Justice des vainqueurs» dans tous ses états. Comme Houphouët en 1963, Ouattara décapite l’Opposition.

Le Temple de Thémis, dans ses œuvres, est dans tous ses états en Côte d’Ivoire. La condamnation, le 26 décembre 2017, de l’ancien ministre Hubert Oulaye à 20 ans de prison ferme, mais sans mandat de dépôt pour des faits pourtant graves, est la preuve manifeste que la Justice ivoirienne est devenue le gourdin dont se sert l’État, à sa guise, pour régler ses comptes politiques et instaurer, sur le modèle de Félix Houphouët-Boigny au début de l’indépendance, un pouvoir sans partage, par un règne d’une main de fer.
En effet, Houphouët-Boigny (assis sur la photo) a inventé «les faux complots» (titre de l’ouvrage de Samba Diarra aux Editions Karthala) en 1963-1964 pour «procéder à une épuration dans tous les secteurs de la nation», selon les propos de Philippe-Grégoire Yacé, alors secrétaire général du PDCI-RDA et président de l’Assemblée nationale. Objectif: décapiter l’élite et tuer toute velléité de contestation.
Depuis la fin de la crise post-électorale, Alassane Ouattara (qui fut son Premier ministre, penché sur la photo) manœuvre pour, comme il l’a promis, «vider le FPI (la principale Opposition) de sa substance», lui aussi dans tous les secteurs de la nation (administration, armée, société civile, etc.). Il se sert de la Justice ivoirienne qui suit une direction, celle de la «Justice des vainqueurs» ou à deux vitesses pour conduire une guerre sans merci aux «ennemis» du régime.
Des éditorialistes ont même comparé le sort de Laurent Gbagbo et de ses partisans à l’occasion de la crise post-électorale ivoirienne à la défaite de l’Allemagne nazie à la fin de la deuxième guerre mondiale, suivie du procès de Nuremberg.
«Où a-t-on vu des vainqueurs d’une guerre répondre de ces faits devant un tribunal?» se sont interrogés d’autres. L’ex-Majorité présidentielle, la perdante de la guerre, ne bénéficie donc pas de la présomption d’innocence. Elle est certifiée coupable et ses cadres restent l’objet d’une chasse à l’homme.
Considérant que «le camp Ouattara n’a commis aucun crime», l’Etat ivoirien a réparti les acteurs du contentieux électoral en deux catégories: d’un côté, les «assassins» qui sont pourchassés et de l’autre, les «sauveurs» de la République qui sont célébrés.
Le 1er juillet 2011, à sa conférence de presse, Simplice Kouadio Koffi, procureur de la République près le Tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau, présentait un dossier qui relevait du manichéisme, le camp du Bien contre celui du Mal.
«Pendant des semaines, des gens (le pouvoir Gbagbo) lançaient des appels à la haine, à la xénophobie; ils commettaient toutes sortes d’attaques dans la ville d’Abidjan et certaines parties du territoire national», a-t-il condamné sans s’embarrasser de fioritures.
Dans son envolée sur les traces de George W. Bush, qui divisait le monde entre l’Axe du Mal et l’Axe du Bien, Kouadio Koffi prenait ouvertement position pour une justice à deux vitesses: «Une armée (les FRCI) arrive, elle met fin à ces violences. Et, on nous demande d’ouvrir une enquête sur ce qui s’est passé. Mais le premier réflexe de l’enquêteur, n’est pas de se précipiter sur celui qui est venu empêcher les autres de commettre les crimes qu’ils étaient en train de commettre; c’est de chercher à savoir qui était en train de faire quoi en ce moment précis, pourquoi les autres sont venus intervenir».
«Laurent Gbagbo est un criminel. Toute cette violence a été provoquée par Laurent Gbagbo et sa femme. Il y aura la réconciliation, il y aura le pardon, mais pas pour les crimes de sang, pas pour les crimes contre l’humanité, pas pour les crimes de guerre», commentait Alassane Ouattara sur la radio Europe 1, en marge de la 37è réunion du G8 à Deauville, en France (26 au 27 mai 2011).
A ses yeux, son prédécesseur était tellement cuit qu’il ne pouvait bénéficier même pas de la présomption d’innocence: «A priori, il y a tellement de faits accablants que je pense qu’il lui sera difficile d’échapper à la prison.»
La cause est ainsi entendue même si dans la grisaille, il y a eu deux énormes coups de tonnerre: le 16 mars 2015, la présidente du tribunal militaire d’Abidjan, Anne-Désirée Ettia, a prononcé, «pour des faits non établis», l’acquittement et la mise en liberté immédiate des prévenus (Commandant Gnahoua Dabley et du MDL-chef Kamana Tanoh Brice-Eric) pour le présumé bombardement sans cratère du marché Siaka Koné d’Abobo le 17 mars 2011.
Le 28 mars 2017, la Cour d’Assises d’Abidjan, présidée par le juge Kouadjo Boiqui, a acquitté, «pour des faits non établis», Mme Simone Ehivet Gbagbo, l’ex-première dame de Côte d’Ivoire, poursuivie pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le tableau de cette justice aux ordres est sombre. A la barre de la CPI, le lieutenant-colonel Toualy Bailly Williams, témoin de la Procureure Fatou Bensouda, a ainsi parlé de «kits d’accusation» pour les partisans de Gbagbo. Avant les procès, les verdicts sont connus et la justice ivoirienne cornaquée exécute les décisions politiques, loin du droit. Avec des peines distribuées à la tête du client.
Dans cette logique, les sanctions pleuvent sans aucune manifestation de la vérité (pas de preuves matérielles, de mobiles et d’aveux), c’est-à-dire selon d’intimes préjugés et sans le droit. Les procès s’achèvent donc par la colère des avocats de la Défense, la frustration des questions sans réponses des familles de ceux qui ont perdu la vie mais aussi par l’incompréhension de l’application à géométrie variable des verdicts.
L’ancien ministre Hubert Oulaye, président du Comité de contrôle du FPI, a été lourdement condamné. Il a été reconnu coupable de «complicité d’assassinat» de sept militaires nigériens de l’ONUCI et de huit civils le 8 juin 2012 non loin de Guiglo, chef-lieu de la région du Cavally (Ouest de la Côte d’Ivoire, faisant frontière avec le Liberia) alors qu’il se trouvait en exil au Ghana. Mais il a regagné son domicile alors que le Parquet général avait requis la prison à perpétuité.
En revanche, Mme Simone Ehivet Gbagbo, l’ex-Première dame, a également été condamnée à 20 ans, Le 10 mars 2015, pour «attentat contre l’autorité de l’État, participation à un mouvement insurrectionnel et trouble à l’ordre public» alors que le Parquet général avait requis 10 ans de prison. Elle est fermement maintenue en «résidence protégée» à l’Ecole de Gendarmerie où selon son avocat, Me Ange Rodrigue Dadjé, toute visite lui a été interdite en cette fin d’année 2017.
Dans ce méli-mélo juridique, certains restent détenus sans jugement depuis 2011 pour la plupart. Dans un communiqué en date du 20 septembre 2016, Michel Koudou Gbagbo, Secrétaire national du FPI (tendance Sangaré Abou Drahamane) chargé de l’Administration pénitentiaire et des prisonniers politiques, relevait 225 prisonniers politiques parmi lesquels 60 militaires et 165 civils dans les prisons ivoiriennes.
Une dizaine de prisonniers politiques environ sont décédés «en prison faute de soins médicaux appropriés et qu’aucun responsable administratif, à notre connaissance, n’a jamais été inquiété au sujet de ce grave problème» au nombre desquels Koffi N’Dri Boniface en 2013, Pekoula Joël en 2013, Assemian Mathurin en 2014, Kouya Gnepa Eric en 2015, Djekouri Aimé en 2016 et MDL Kouatchi Assi en 2017.
C’est le casse-tête juridique. Le 26 mai 2017, l’ancien ministre Sébastien Dano Djédjé et Koua Justin, arrêtés le 5 mai 2015, et Dahi Nestor, arrêté le 7 juillet 2015, ont été condamnés à 30 mois de prison pour «discrédit sur une décision de justice et atteinte à l’ordre public», pour avoir pris part à l’organisation, le 30 avril 2015, du Congrès extraordinaire de la tendance pro-Sangaré du FPI.
Le 4 novembre 2017, Koua est sorti de prison où séjourne encore Dahi Nestor, en attente de sa libération. C’est ce sort que connaît Douyou Nicaise, alias Samba David, coordonnateur national de la Coalition des indignés de Côte d’Ivoire (CICI).
Arrêté le 17 septembre 2015 et condamné le 02 octobre 2015 à six (06) mois d’emprisonnement ferme par le Tribunal correctionnel d’Abidjan, statuant en matière de flagrant délit, pour des faits de «discrédit sur une décision de justice (en rapport avec la validation par le Conseil constitutionnel de la candidature de l’actuel chef de l’état Alassane Ouattara), provocation à un affrontement non armé, complicité de destruction volontaire d’objets et trouble à l’ordre public», commis courant septembre 2015, il reste toujours en détention, après avoir fini de purger sa peine.
Il est à nouveau poursuivi pour des faits de trouble, avec décès, survenus à Dabou, le 2 décembre 2015, pendant sa détention et attend un autre jugement. Accusé de «complicité de meurtre et d’atteinte à l’autorité de l’Etat», il a été inculpé et placé sous mandat de dépôt le 16 décembre 2015 pour ces faits criminels.
L’une des dernières décisions en date montre que le règlement de compte politique est partie prenante de cette mise en scène juridique. L’ancien ministre Assoa Adou, rentré d’exil le 24 novembre 2014 a été arrêté le 7 janvier 2015. Ce directeur national de campagne de Gbagbo pour la présidence du FPI au Congrès ordinaire du parti reporté du 14 décembre 2014 était poursuivi pour «commission volontaire de meurtres, participation à une bande armée sans en prendre la tête, détention illégale d’armes, entretien et fourniture de subsides aux bandes armées».
S’il n’a pas été reconnu coupable de ces faits, il a, en revanche, été condamné, le 19 juillet 2017, à 4 ans de prison ferme pour un fait pour lequel il n’était pas inculpé: troubles à l’ordre public, sans que l’on sache où et comment lesdits troubles ont eu lieu. Et Nanan Boa Kouassi III, le roi de l’Indénié, demande, avec insistance, la libération de ce notable de son royaume.
C’est le même schéma avec Hubert Oulaye. Il est rentré librement au pays le 30 novembre 2014 parce que «notre chef (Gbagbo) est candidat à la présidence du parti» pour ledit Congrès. Ce président du Comité de contrôle du FPI a été arrêté le 4 mai 2015 pour les faits d’«assassinat et de complicité d’assassinat de 7 militaires nigériens de l’ONUCI et de 8 civils en juin 2012», non loin de Guiglo (chef-lieu de la région du Cavally, dans l’Ouest du pays), sa région d’origine. Il vient d’être condamné après avoir été mis, le 7 juin 2017, en liberté provisoire.
Le comble de cet arbitraire est campé par Moïse Lida Kouassi, ex-ministre de la Défense. Il a été arrêté le 6 juin 2012 à Lomé et extradé en Côte d’Ivoire, pour «activités subversives» visant à «déstabiliser» le régime ivoirien. Il a recouvré, à la surprise générale et sans jugement, la liberté provisoire le 5 août 2013, avant d’être de nouveau arrêté le 24 octobre 2014 pour encore et toujours «atteinte à la sûreté de l’Etat». Il attend d’être jugé et d’être condamné à une lourde peine. Pour les beaux yeux des autorités.
Car aucun quartier n’est consenti pour les bêtes noires du régime déchu, au nombre desquels se comptent le général Dogbo Blé Brunot, ex-chef de la Garde républicaine, et le commandant Anselme Séka Yapo, ex-garde de corps de Mme Simone Gbagbo. Ils ont été sous le coup d’une kyrielle d’accusations: «violations de consignes», «homicide volontaire sur la personne de Yapo Akaffou Anselme, garde de corps de l’ex-ministre Joël N’Guessan», «meurtre et complicité de meurtre du général Guéi Robert», «assassinat du colonel-major Dosso Adama», «enlèvement et le meurtre des ‘disparus du Novotel’».
Après l’abolition de la peine de mort, ils ont écopé de la sanction suprême: la prison à vie. Ils ont été destitués de l’Armée et de la Gendarmerie.

Ferro Bally, journaliste independant

Le titre est de la rédaction

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