Bedié et Gbagbo sollicitent-ils un 3ème mandat ? (Eric Kahe)

La question des mandats, état des lieux.

En Côte d’Ivoire, pour justifier le 3ème mandat du chef de l’État sortant Alassane Ouattara, ses ministres ne manquent pas d’idées. Que valent les arguments avancés ?

Pour ses opposants et une grande majorité des Ivoiriens, Alassane Ouattara ne peut prétendre à un troisième mandat, au regard de la Constitution. Et pourtant, les partisans du « dictateur émergeant d’Abidjan » multiplient les arguments qui changent au fur et à mesure de leur destruction par des arguments contraires. Des arguments juridiques du « 1er mandat de la 3ème république », l’on assiste ces derniers jours à d’autres gymnastiques, qui relèvent plus des tactiques politiciennes que d’arguments juridiques, pour tenter de se convaincre du contraire.

3ème mandat impossible pour Alassane Ouattara ?

Ainsi, pour leur dernière trouvaille, et en marge de la visite de leur mentor en France pour tenter de rallier son homologue et parrain français à sa cause, les ministres de Ouattara se sont engagés dans une campagne dans les médias français, tendant à trouver une similitude entre la situation de Laurent Gbagbo en 2010 et celle de Ouattara à l’heure actuelle. «Gbagbo avait fait 2 mandats mais il s’est quand même présenté en 2010 pour un 3e mandat», disent les proches du Chef de l’Etat ivoirien. Ils étendent la comparaison au cas du président Bedié.


Qu’est ce qu’un mandat?

Un mandat commence par une élection présidentielle et s’achève par une élection présidentielle.

Bédié, combien de mandats ?

A la mort du président Houphouët-Boigny en 1993, Henri Konan Bédié achève le mandat du « vieux » au nom de la succession constitutionnelle (article 11). Il ne s’agit, par conséquent pas, d’un mandat à proprement dit, puisqu’il « achève » le mandat du président Félix Houohouët-Boigny.
Son premier mandat de « président élu », donc « rééligible une seule fois », commencera en 1995 lorsque Henri Konan Bédié est élu à la magistrature suprême. Il ne pourra malheureusement pas arriver au bout des 5 ans qui lui sont accordés. Un coup d’Etat le chasse du pouvoir un certain 24 décembre 1999. Mandat inachevé; mais mandat tout de même, qui l’autorise d’ailleurs à se présenter à la présidentielle de 2000, même si sa candidature a été invalidée à l’époque, cela pour d’autres raisons. Encore que la présidence de Bedié n’a pas eu lieu sous limitation constitutionnelle de mandats. Mais bref !

Il se présente ensuite en 2010. Il perd au premier tour avec 25,2% des suffrages exprimés, selon des résultats proclamés, dans des conditions surréalistes, par M. Youssouf Bakayoko de la Commission électorale indépendante. Des résultats qu’il conteste mais qui le placent tout de même 3ème derrière Alassane Ouattara.
Ce dernier arrive à convaincre son ancien rival de s’allier à lui contre Laurent Gbagbo…

Que dire des difficiles 10 ans de Gbagbo ?

En octobre 2000, Laurent Gbagbo se présente aux élections qu’il gagne. Un premier mandat pour l’opposant historique qui devrait s’achever en 2005. Hélas, en septembre 2002, une rébellion intervient. Le pays est coupé en deux. Différents «accords de paix» sont proposés comme solutions à une crise qui dure au fil des années. Marcoussis, Lomé, Ouaga, Pretoria… les rebelles sont intégrés dans «un gouvernement d’union nationale». En 2005, le pays est toujours divisé et la Constitution n’autorise pas d’élection dans ces conditions, (article 38 alinéas 1 et 4). Le premier et unique mandat de Laurent Gbagbo se poursuit au-delà de 2005.
Après les accords de Ouagadougou, l’administration se redeploie progressivement sous la coordination du Comité national du redéploiement de l’administration (Cnpra). Mais, rusant avec le désarmement, les rebelles font retarder les élections.
Pour Gbagbo, la bonne foi tranche pour un seul mandat assorti d’un « bonus empoisonné » du fait de la rébellion et en application de la Constitution de 2000.

De sorte que, de report en report, les élections ont finalement été organisées en 2010, avec une rébellion qui n’a pas désarmé, malgré les accords de Ouagadougou de 2007.
La présidentielle d’octobre 2010 marque la fin du premier mandat de Laurent Gbagbo qui aura duré 10 années.

Même si le camp Ouattara tente de convaincre du contraire, aucune logique ne permet de dire qu’un mandat de 10 ans, pourrait être compté comme deux mandats de 5 ans. Autrement, c’est en 2010 que devrait être soulevée cette exception. À moins d’insinuer qu’après 2010, Laurent Gbagbo a exercé un autre mandat. Ce qui serait lourd de conséquences pour le camp Ouattara.

Alassane Ouattara est-il forclos

M. Alassane Ouattara est le seul chef d’Etat, depuis Houphouët-Boigny, à avoir achevé deux mandats. Reconnu vainqueur en 2010 par la communauté internationale contre l’avis du Conseil Constitutionnel, cela a été acté par tous. De gré ou de force. Il s’est représenté à la présidentielle de 2015; il l’a gagnée, en dépit du boycott de l’opposition significative et d’un faible taux de participation. Au compteur du président sortant: deux élections successives, deux mandats successifs.
Monsieur Alassane Ouattara peut-il alors prétendre à un autre mandat ? Il est à craindre que la réponse soit non.
Ce n’est constitutionnellement pas possible. La limitation des mandats inscrite dans le texte fondamental de 2000 a été reconduite dans celui de 2016.
Les rédacteurs de ladite Constitution, les juristes, les ministres, le porte-parole du gouvernement lui-même à cette époque… Tous ont confirmé : «Alassane Ouattara ne peut pas faire un autre mandat» précisant même « Alassane Ouattara ne se présentera pas en 2020 ». Or nous sommes en 2020.
Un homme d’honneur, appelé à diriger un peuple, ne peut pas faire voter une Constitution sur une base et dévier de ce serment sur une interprétation, de surcroît née d’une circonstance exceptionnelle qui ne saurait être au-dessus de la norme qui guide tout un pays. Une candidature du président sortant remettrait en cause le contrat qui a prévalu au vote de la Constitution de 2016.

Eric Kahe,
ancien ministre, président de l’AIRD

1 Commentaire

  1. Juste porter sur la table une explication qui clarifie distinctement les trois cas litigieux, vient à point nommé.
    Merci monsieur le ministre. Seule une mauvaise foi viendrait changer la done. Encore une fois “Un mandat commence par une élection présidentielle et s’achève par une élection présidentielle.”
    Le débat est clos.

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