Un État, employeur de milices « Dozos »? | Eric Kahe

Le président de l'AIRD aux côtés des victimes des milices
Eric Kahe, ancien ministre et président de l’Aird, en soutien aux victimes des milices

Régulièrement, dans la Côte d’Ivoire promise à l’émergence en 2020, soit seulement dans 4 ans, des citoyens sont assassinés, voire massacrés par d’autres citoyens.

Sous l’appellation de chasseurs traditionnels, des individus qui semblent agir selon divers projets politiques, ont transformé la confrérie dite des « Dozos » en une organisation criminelle.
Nous avons eu l’honneur et le privilège d’avoir vécu, en immersion, dès l’âge de 8 ans jusqu’à 21 ans, dans l’intimité du peuple Senoufo. Un peuple courageux, hospitalier, travailleur, humble, discipliné et avec un sens sacré de l’honneur.
La confrérie des « Dozos », respectée et parfois initiatique rimait avec ce code de l’honneur et le respect de l’aîné. Ces vrais « Dozos », issus des rites séculaires de la formation du jeune en vue de son intégration à la société, par le sommet et non par la « voyousie criminelle », existent toujours. De nombreux écrits l’attestent et nos condisciples du Lycée Houphouët-Boigny de Korhogo peuvent en témoigner. Les sociétés qui comprennent des « Dozos » ne se limitent d’ailleurs pas à la seule Côte d’Ivoire. Ailleurs, ils ne sont pas des criminels.

Depuis la préhistoire, l’homme a vécu de chasse et de cueillette. Autrement dit, tous les peuples, toutes les communautés ont eu leurs chasseurs. Comme ils ont eu leurs forgerons, leurs agriculteurs, leurs tisserands, leurs éleveurs, leurs guerriers, etc. La complémentarité de ces activités a permis de fonder des sociétés organisées et structurées, point de départ d’une évolution vers plus de développement et plus de bien-être. Qu’adviendrait-il d’un État, si les chasseurs de chaque communauté décidaient de faire de leurs compatriotes, leurs gibiers?

Ceux qui tuent ne sont pas des « Dozos » mais juste des bandes de criminels politiques qui terrorisent les populations. Et celui qui terrorise les populations a bien un nom.
Ceux qui tuent, pour le moindre différend foncier à l’ouest, à Bouaflé, à Gagnoa à Bouna, etc. ne sont pas des « Dozos » mais juste des voleurs qui protègent le bien mal acquis par le crime.
Ceux qui incendient et pillent des villages entiers, en y laissant mort et désolation, sous prétexte de se rendre justice ne sont pas des « Dozos » car les « Dozos » ne se rendent pas justice. Au contraire, les « Dozos » défendent les opprimés non pas par le crime, mais par la protection, la solidarité en vivres et en non vivres. Ceux-là ne sont pas des « Dozos ». Ils sont juste des pirates qui, au lieu d’opérer en haute mer, opèrent en haute forêt ou en haute savane.

Le jour même des événements tragiques de Grand-Bassam, l’AIRD (Alliance Ivoirienne pour la République et la Démocratie) tout en se félicitant de l’envoi des renforts de forces de sécurité ivoiriennes, avait craint que la présence des « dozos » armés au sein de ces forces – rapportée par plusieurs agences de presse – puisse prêter à polémique et saper l’urgente cohésion nationale à laquelle nous sommes tous appelés.

Tous ces acteurs du crime sont tout, sauf des « Dozos » et les dépositaires des valeurs de cette confrérie qui incarnait dignité et sens de l’honneur, doivent monter au créneau, pour exiger le désarmement des bandes armées qui agissent en leur nom et humilient au quotidien les valeurs dont ils sont porteurs.
Chefs de village, chefs de canton, autorités spirituelles et religieuses, chefs coutumiers, sociétés civiles rurale et urbaine, etc. doivent se mobiliser pour exiger un minimum de décence. Tout en réitérant nos condoléances aux familles des victimes et nos vœux de prompte guérison aux blessés, nous estimons que l’urgence est à ce désarmement.

(…) De l’urgence du désarmement des « Dozos ».

Or, ceux qui terrorisent sont combattus par les États.
Or, ceux qui assassinent répondent de leurs actes devant la Justice.
Or, ceux qui pillent sont punis dans tout État de droit, et davantage s’il se veut émergent.

Or,… Sinon, cet État est leur employeur. Auquel cas, la messe est dite pour le pire et pour l’adieu au meilleur. Sauf à continuer de se mentir, à continuer de nous mentir.

Eric Kahe, ancien ministre,
président de l’AIRD

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