Côte d’Ivoire : une exigence de civisme en mal de légitimité?

Eric Kahe, mathématicien, ingénieur informaticien, ancien ministre et président de l'AIRD.

Côte d’Ivoire, un civisme sans réciprocité?

En Côte d’Ivoire, les héritiers politiques de feu Félix Houphouët-Boigny – le premier président du pays qui a fait du dialogue une monnaie d’échange contre la discipline indispensable au civisme – sont en mal de légitimité pour demander aux Ivoiriens du Civisme.

Le civisme, zèle pour le bien commun.

Le civisme est défini comme l’ensemble des qualités propres au bon citoyen. Le civisme renvoie précisément au zèle, au dévouement pour le bien commun de la nation. Dans l’histoire de certaines nations, le civisme était récompensé par une carte de civisme ou certificat de civisme, comme une attestation de loyauté délivrée aux citoyens dévoués à une cause, notamment celle de la Révolution française.

Pour encourager le civisme, essentiel à la construction d’une société vertueuse et à la bonne marche de l’État, la Côte d’Ivoire organisait, pour sa jeunesse, dans les premières décennies de son accession à la souveraineté internationale, des formations à l’acquisition et au renforcement de l’esprit civique, lequel rythme avec patriotisme et discipline. Ces formations, sous forme d’un service civique, étaient d’autant bien acceptées avec fierté que la discipline est une composante de la devise de notre pays et que Félix Houphouët-Boigny savait bien manier humanisme et pouvoir sans partage.

Comment la fermeture à la démocratie fragilise le civisme.

Depuis le début des années 90, marqué par un début de démocratisation de la vie politique au moyen du pluralisme politique, la Côte d’Ivoire a vu l’esprit civique de ses populations se dégrader de quinquennat en quinquennat.
D’abord, en arrachant le multipartisme – pourtant effleuré dans la Constitution – par des luttes sociales, syndicales et politiques, les institutions du pays ont été quelque peu écorchées, incapables qu’elles ont été de faire la différence entre les individus et les missions institutionnelles.
En outre, l’obtention du multipartisme au forceps a débouché sur une confiscation du pouvoir par l’ancien parti unique, conduisant ainsi à d’autres formes de défiance de l’autorité de l’État, qui ont joué contre la promotion du civisme.
Le changement de régime, opéré par la force en 1999 et porté par l’institution de la discipline qu’est l’armée, tout en étant une atteinte au civisme, avait laissé espérer une transition vers un espace politique national plus apaisé par la pratique démocratique. Cet espoir fut de courte durée pour diverses raisons en lien avec les chocs d’ambitions entre les auteurs du changement et leurs parrains. Preuve que ce changement, au départ soutenu par une bonne frange de la société, était intéressé ou opportuniste et non pour le « bien commun de la nation ».

L’impact d’une gouvernance sur le civisme.

Malgré une élection démocratique qui a vu l’armée quitter le pouvoir en 2000, la rébellion de septembre 2002 a enterré le civisme quand celle-ci a atteint ses objectifs de prise du pouvoir par la force avec le soutien de puissances étrangères. Les nombreuses années d’exactions contre les populations, suivies du « 11 avril 2011 », étaient loin du « dévouement pour le bien commun de la nation ».
La gouvernance qui a suivi cette prise du pouvoir s’est appuyée sur le « rattrapage ethnique », y compris au sein de l’armée et des institutions de la République, ou de ce qui en restait. Aux yeux de l’écrasante majorité, exclue du partage, la Côte d’ivoire apparaît comme une mine à ciel ouvert, à la disposition du moins offrant en termes de valeurs et du plus offrant sous l’angle de la violence. Ceux qui exploitent une mine ont peu de scrupules pour l’environnement et même pour les ouvriers. Leur avenir n’est pas dans la survie de la mine, mais plutôt dans sa mort !  Faire mourir la mine en lui retirant  tous ses minéraux. Ce qui passe par sa démolition, jusqu’à tous ses organes.

La Côte d’ivoire apparaît comme une mine à ciel ouvert, à la disposition du moins offrant en termes de valeurs et du plus offrant sous l’angle de la violence.

L’illusion optique a été de croire que le silence de cette majorité, silence d’une population maintenue dans la peur par la dictature, était une adhésion, voire une caution. Un silence largement couvert par une communication institutionnelle huilée, des éléments de langage savamment maîtrisés aux fins de séduire par le mensonge. Or, la nature du mensonge, c’est que son auteur finit par sincèrement compter pour vrai son propre mensonge. En faisant corps avec ses propres arguments mensongers pour arriver à ses fins, l’auteur du mensonge passe pour l’hôpital qui se moque de la charité. Si ce n’est par cynisme, les héritiers d’une rébellion n’exigeraient pas de civisme de leurs victimes, qui sont aujourd’hui leurs administrés. 
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Fin d’une époque?

Venue comme pour rappeler que la fermeture de la parenthèse était fortement attendue, l’annonce de fin de règne semble libérer de nouvelles énergies, soutenues par l’extinction progressive de la peur, le retour de la confiance que génèrent les hormones du probable nouvel ordre politique. À l’inverse des partants, qui n’hésiteront devant rien pour se maintenir, de nombreux prétendants au trône ont la culture de la tolérance, du débat contradictoire, et jouissent d’une plus grande immersion nationale. Il y a peu de chance qu’ils fassent pire que ce qui a été donné de voir ou de vivre ces dernières années.

De la capacité de chacun des acteurs, politiques ou société civile, à tourner la page, pour se placer sous le manteau de la République, dépendra le retour du civisme et au civisme.

* Les titres et intertitres sont de la rédaction
Le ministre Eric KAHE,
Président de l’AIRD


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